Des plats fumants et des odeurs alléchantes s'échappent de la tchaikana d'où nous sortons juste le ventre plein pour moins de deux dollars. Un dernier regard aux cimes enneigées et bye bye Tadjikistan ! Nous dépassons de lents camions et camionettes qui débordent de charbon en provenance d'une mine toute proche. Des troupeaux de chevaux galopent bruyemment sur l'asphalte, les montagnes non plus pelées sont de nouveau vertes, partout des chapeaux blancs pointent vers le ciel, mais surtout : oxygène! Nous respirons de nouveau, Osh se trouve à à peine 900m d'altitude. Asad, couchsurfer nous héberge. C'est vendredi, la prière est très importante ce jour là pour les musulmans, Asad m'invite à se joindre à lui, il va à la mosquée ; Tiph attendra dehors, il s'agit seulement d'une trentaine de minutes. La salle immense est comble. Un tapis moelleux épais de deux centimètres accueille un millier de pieds nus. Bien qu'avant d'entrer chacun se lave visage, mains et pieds, l'odeur dans l'air ne passe pas inaperçue même pour les narines les plus bouchées. Par terre la moquette dessine des arcs comme pour délimiter l'espace que chaque personne devrait occuper. « Fait ce que je fais et tout ira bien » me dit Asad à voix basse comme pour cacher l'agneau dans la tanière des loups. Mes cheveux et ma barbe longs du moment sont un bon déguisement et personne ne se rend compte de la présence de l'infidèle ;). Comme chez nous à l'église, ici aussi, il y a qui est là et ne sait pas pourquoi, qui prend tout au sérieux et qui répète mécaniquement les gestes parce que tout le monde le fait, cela se lit sur les visages ! Au rythme scandé des prières chantées, nous nous accroupissons et nous levons, allons de haut en bas sur le tapis, le cou à droite et puis à gauche, un pas en avant et un pas en arrière. C'est vraiment un beau moment ; j'ai l'impression d'être à un cour de yoga ou plutôt une leçon de gynmastique pour réveiller les muscles. Tout ces mouvements m'ont ouvert l'appétit, notre hôte nous emmène manger un samsa gigantesque rempli de viande, oignons et beaucoup de gras.
Asad a été promis comme époux. Sa famille et celle de sa future ont déjà planifié la date du mariage (dans un mois maintenant!). Ses parents sont inquièts car à 30 ans il n'est pas encore en couple. Ici à l'âge de 20 ans ils ont déjà des enfants. Asad nous confie qu'en réalité il aime une autre femme, différente de celle désignée, mais il n'a pas encore trouvé le courage de le dire à ses parents car contrairement à la tradition sa petite-amie n'était pas une femme « immaculée » quand il l'a rencontré, et pour couronner le tout maintenant elle porte en elle un enfant signé Asad. Le trentennaire est partagé et vit un profond conflit intérieur : céder au poids de la tradition et donc finir par faire une vie qui n'est pas la sienne ou suivre son cœur avec la conscience qu'ensuite il ne pourra plus compter sur le soutien de sa famille et qu'il vivra éternellement avec toute la société kirghize qui le montrera du doigt. Un peu comme ce qui est appelé « fuitina » en Sicile, aussi au Kirghizstan il était d'usage que les couples, qui pour des motifs diverses n'étaient pas reconnus par la société ou leur famille respective (par exempe : car issues de différentes classes sociales), ils se mettaient d'accord pour que lui vienne l'enlever. De cette manière, devant le fait accompli, les familles, question d'honneur, ne pouvaient qu'accepter leur union. Cette pratique, qui à l'époque représentait une tactique pour se libérer des faux conditionnements de la société, s'est peu à peu transformée et a pris une terrible tournure. Aujourd'hui il arrive qu'un homme voit une jolie fille et, à son insu, il la kidnappe et la force à coucher avec lui. La jeune fille ensuite est contrainte de rester et se marier avec cet homme qui l'a violé (pour dire les choses comme elles sont) ou bien elle doit accepter de ne plus pouvoir se marier, car désormais elle n'est plus pure, élever toute seule l'éventuel enfant et vivre avec l'étiquette d'une « dévergondée ». Coup dur car même devant la loi elle ne trouvera pas justice. La police, fermera les yeux, et « croira » qu'en réalité la femme, initialement consentente à « l'enlèvement », aurait au dernier moment changé d'idée. La jeune femme dont Asad est tombé amoureux est justement une victime de cette coutume mal interprétée de nos jours. Figurez-vous d'aller expliquer tout ça à ses propres parents ! Moi et Tiph, lui donnons une vision des choses différentes, mais la décision ne nous appartient pas, comme toujours, libre arbitre.
Marco