Jafr, jardin d’Eden où les fruits sont abondants et à volonté. Sous le kiosque, Tiphaine se repose et essaye de guérir sa diarrhée, Marco fait un jeu sur son téléphone, Jean-Noël lit l’anthologie soufi et j’écris après avoir lu tout un chapitre écrit par notre hôte et traduit en anglais dans un livre de la Fondation Christensen. Notre hôte, c’est Mirzoshoh Akobirov dont Marco a déjà parlé. Un maître fermier, un philosophe, un poète, un artiste, un musicien, un agronome, le directeur de Rushnoe, une communauté organisé en ONG pour la préservation de la diversité bio-culturel, pour promouvoir la culture des plantes et arbres domestiqués par les anciens. Il a créer des jardins expérimentaux avec une riche collection d’arbres fruitiers, plantes décoratives et herbacées sur le point de s’éteindre et apprend aux fermiers cette culture sur des pentes escarpées (30%), selon le principe d’un dicton Tadjik :
« It is better to see than to hear » « If people do not see it, they will not believe is it real. Once they see with their own eyes and understand that it works, they want to participate. »
Alors il a créé en plus de son propre jardin où nous séjournons, un jardin expérimental juste au-dessus de la route principale qui dessert la vallée et où il amène les politiques, décideurs… en plus des villageois. Et, la aussi, il y a construit un kiosque, pour se reposer et contempler. Nous n’avons pas de langue commune, heureusement qu’il y a ce livre en anglais pour nous expliquer son parcours. Cependant son œuvre, ses actes et ses gestes parlent d’eux-mêmes. La visite de ces jardins est d’un enseignement incroyable. De comment l’expérience et la volonté d’un seul homme produit un enseignement pour quelques uns qui feront beaucoup, donnent du travail et améliorent l’ordinaire de familles entières.
Ce matin, il nous a joué deux morceaux de luth en chantant. Pas un d’entre nous n’a pu prendre la relève.
Je ressens les bienfaits de cet endroit, la générosité de la nature guidée par la main de l’homme. Simplicité du lieu aux pommiers et poiriers chargés de fruits. Le pavillon est décoré de coloquintes suspendues et de suzanis, ces tissus brodés de soie sur coton. Une brise vient caresser ma nuque. Des abris pour oiseaux sont accrochés dans les arbres fruitiers.
Dés que nous sortons du chemin bordant le verger pour rejoindre la route asphaltée, c’est le spectacle d’un adolescent sur son âne, les pieds touchant presque par terre et sa radio allumée posée sur le pommeau de la selle ; trois hommes poussant une voiture apparemment pour la ramener chez eux, y compris dans la côte.
Au départ, j’ai l’impression de pédaler dans le Marais Poitevin ! Tant la route est plate, bordée de peupliers d’Italie et longeant la rivière. Cependant sur l’autre rive les sommets enneigés dépassent les 5000mètres ! Puis une côte de 5% : les trente vitesses de la bicyclette de Tiphaine sont un plaisir et je grimpe allégrement. Puis 8%. Les kilomètres défilent, inscrits sur des petites pancartes le long de la route. Puis une pente à 9% : oui, je reste sur ma selle ! Le ciel est couvert, nous n’avons ni chaud, ni froid. Les camions et voitures sont peu nombreux. La terre est rouge, l’eau du fleuve chargée de limon, roule puissamment. Nous croisons des grosses charrettes de foin tirées par des tout petits ânes. Partout ils font du foin, allant faucher sur des pentes très raides pour les bêtes car l’hiver il peut y avoir un mètre de neige.
Et le silence. Le plaisir de rouler dans le silence, d’avancer dans le silence du torrent, des oiseaux, des éclats de voix au loin, du vent dans les feuillages. Puis il est temps de faire demi-tour et de rentrer. Au passage d’un pont, le flic que nous avions juste salué à l’aller, nous fait signe de nous arrêter. Nous voyons qu’il est passablement imbibé. Il nous croit perdu faisant aller et retour. Nous nous esquivons dés que possible.
Nous sommes très fiers d’avoir parcouru 45 km en cet après-midi et nous plaisantons Marco et Tiphaine que nous les prenions pour des super-héros mais qu’en fait c’est facile avec du bon matériel ! Bon, il est vrai que nous n’avions pas les 25 à 35 kilos de bagages et vivres qu’ils transportent habituellement.
Le soleil a disparu derrière la haute colline qui encadre à l’ouest la vallée heureuse de Jafr. Il illumine encore les sommets en face, au Sud où la neige est tombée ce matin, descendant plus bas que les jours précédents. C’est vers là que nos voyageurs au long cours vont s’élancer bientôt. J’écris pour neutraliser le vague à l’âme qui me gagne à l’idée de les quitter pour de longs mois. Tandis que trois jours de voyage nous attendent pour rentrer jusqu’en Vendée.
« Hier est passé, n’y pensons plus
Demain n’est pas là, n’y pensons plus
Pensons aux doux moments de la vie
Ce qui n’est plus, n’y pensons plus. »
Omar Khayyâm (1048-1131, Iran)
Marie-Félicie, Maman de Tiphaine, Auteur du Livre "Jusqu'au dernier instant" Co-éditions Humanis-ALTESS sous le nom de Marie-Félicie ROUSSEAU