Rythmes du Tadjikistan. A vélo et en auto-stop (après une épaule endommagée) sur la Pamir Highway. A découvrir en cliquant ici Les quinze jours à Khorog passent rapidement entre repos, lecture et écriture et les rencontres avec des cyclovoyageurs du monde entier qui vont et viennent du Pamir. J'ai le bras en écharpe et je suis les conseils des médecins : ne pas bouger le bras gauche. Tiphaine désormais mérite une palme d'or : patiemment, elle prépare, sert et lave les plats, elle m'aide à m'habiller et même à m'attacher les cheveux ! Les journées de repos absolu sont terminées et il est maintenant temps de repartir, notre visa tadjik arrive bientôt à son terme, pouce levé et c'est partie ! La route que nous parcourons a été réouverte depuis quelques semaines seulement. Le miroir d'eau bleue turquoise reflète le paysage à l'envers mais des pointes de toits dépassant de la surface agrémentent le tableau. Les hommes qui nous ont pris en stop nous montrent une vidéo de l'éboulement qui a causé la fermeture de la route, un parmi tant d'autres dans cette zone privée d'arbre où donc rien ne retient la terre. C'est une scène apocaliptique qui semble tout droit sortie d'un film, c'est d'une telle puissance. Jeter un coup d'oeil ici : Nous atteignons le terminal d'où partent et arrivent les camions chinois. Ils viennent au Tadjikistan seulement pour importer des marchandises chinoises, ils repartent à vide !! De toute évidence, ils ne manquent pas de place pour notre maison sur roues, mais les chauffeurs aux visages chinois, en terre étrangère, à la différence des locaux, doivent strictement respecter les règles et pas plus d'un passager n'est autorisé par cabine : nous nous séparons, chacun dans un camion. «Come ti chiami ?» je demande pour sympathiser un peu. Mon chauffeur acquièsse d 'un signe de tête et répète «come ti chiami ?»…il est clair qu'il n'a pas compris. Je réessaie : « Io Marco e tu ? » dis-je en mimant et faisant des signes clairs. Lui, répète mot pour mot. Je laisse tomber, nous n'avons pas les bases pour communiquer. En revanche, le chauffeur de Tiphaine, peut-être car il est en compagnie d'une femme, est tout guilleret. Il rit, plaisante : « Ce camion tombe en morceaux, un camion chinois quoi ! » Ahahah c'est un comble cette blague sortant de la bouche d'un homme au yeux bridés ;) En réalité il nous explique qu'eux sont ouïgours : bien que faisant maintenant partis de la Chine, ils sont une ethnie turcophone et de religion musulmane. Et les chinois ne leurs sont en rien sympathiques. A gauche il y a des masures, le groupe des cinq camions avec lesquels nous voyageons s'arrête. Dehors il fait un froid glacial et pourtant ils prennent avec eux leur serviette de bain, un rasoir et des savates. Une source d'eau chaude, voilà le mystère : et plouf dans l'eau ! Nous repartons et ils commencent alors à s'amuser comme s'ils étaient assis sur la selle d'un vélo et non sur le siège d'un énorme camion: ils se dépassent, se barrent la route à tour de rôle, en parrallèle ils se défient à qui sera le plus rapide, désormais les nuages de poussière et les nid-de-poules ne comptent plus. D'une manière ou d'une autre ils doivent bien tuer le temps pendant ces dix heures de conduites. La nuit est déjà tombée, à Murghab nous acceptons volontiers de dormir dans l'auberge des routiers. Je suis épuisé, je ne tiens plus sur mes pieds à la différence des ouïgours qui eux, se sentant comme à la maison, envahissent le salon, lancent un de leur DVD de musique et se déchaînent en excécutant des ballets folkloriques avec l'énergie de personnes fraîches et bien reposées. Une odeur de suie règne dans la pièce où nous dormons et mon lit est composé d'un planche de bois seulement sur une moitié, je remplis le trou avec des vêtements. Un câble électrique nu est manuellement déplacé pour allumer ou éteindre la lumière provoquant chaque fois une petite étincelle....frisson... pour 3€ la nuit nous ne pouvons pas nous plaindre. Les camions poursuivent leur périple directement vers Kashgar, en Chine, via une frontière fermée à nous « touristes ». Nous, nous nous orientons vers le nord direction le Kirgizstan. La route est très très calme, autour de nous seulement des montagnes sans végétation et le village de Murghab au loin qui pointe comme une cathédrale dans le désert. « Une voiture ! Une voiture !... » je crie comme si j'avais à peine assisté à un miracle. Le porte-bagage sur le toit est vide et derrière il y a tout juste deux places de libres qui n'attendaient que nous. Le chauffeur à une tête d'asiatique et porte un étrange haut chapeau blanc, c'est un kirghize. Respirer devient difficile, les cimes sont enneigées et un léger mal de tête nous avvertit, nous y sommes, le point le plus haut de la Pamir Highway: 4 664 mètres, c'est la première fois que je me retrouve si haut les pieds touchant encore terre. Le lac de Karakul apparaît dans toute sa splendeur. Les couleurs se meuvent au passage des nuages crèmes chantilly et des montagnes aux douces pentes contournent les bords de l'eau. Pour nous, la route s'arrête pour aujourd'hui, cette nuit nous dormons ici. Nous montons la tente au milieu de ce spectacle de la nature. Ces longues cornes, sa bosse proéminante et sa longue queue touffue rendent cette étrange vache fascinante. Elle émet des sons similaires à une vieille motocyclette en accélération : c'est un yak ! Je n'en avais jamais vue en chair et en os jusqu'à maintenant. Cycliste à l'horizon ! C'est Paul et Leiset, le couple d'australien en notre compagnie le jour où j'ai eu l'accident. Mais quelle belle surprise ! Et voilà un autre cycliste, Jonathan, il est anglais. Nous nous serrons tous les cinq dans notre tente avec un bon thé chaud et des cacahuètes : nous bavardons et nous nous sentons comme dans un confortable salon. Nous profitons des derniers et précieux rayons de soleil. Quand il se couchera le froid arrivera. Les autres nous avertissent : mettez ce que vous avez de plus chaud et enfouissez vos gourdes dans votre sac de couchage si vous ne voulez pas vous réveiller avec des glaçons. La température peut descendre de 10°C en-dessous de zéro, par ailleurs nous sommes à la fin septembre et nous campons à 4000mètres d'altitude. Nous nous réveillons enquilosés et de bonne heure. Nous nous mettons tout de suite en position, laisser échapper de potentiels véhicules signifirait passer une autre nuit ici sous la tente. Pas grand monde ne passe, une ou deux voitures par jour peut-être. Trois pantalons, chaussettes de laine, couvre-chaussures, doudoune en plume d'oie, sous-vêtements techniques, imperméable, gants, écharpe et bonnet... nous enfilons presque toute notre garde-robe, ce matin, malgré le soleil, le froid porté par le vent est pénétrant. Nous déclinons à contre cœur les invitations des habitantsdu village à prendre le thé : nous devons surveiller la route. A Karakul, les uniques points d'eau sont des puits positionnés ça et là. Ils fonctionnent par un système de pompe manuelle. D'un coté une personne actionne de bas en haut le manche et de l'autre une autre collecte l'eau dans des jerricanes. Les habitants vont aux toilettes avec à la main une poignée de belles pierres lisses du fleuve qui se substituent aux quattre feuilles de papier toilette auxquelles nous sommes habitués. Plusieurs villageois proposent de nous accompagner à la frontière contre des sommes de dollars astronomiques, mais nous sommes convaincus que la « divine providence » est en train de travailler à une solution plus adaptée à nous pauvres voyageurs, il faut seulement avoir du temps et justement nous n'en manquons pas...
Marco Le poste de douane Tadjikistan-Ouzbékistan est passé, après une fouille minutieuse de nos affaires - contenu de nos appareils photos et téléphones compris. Nous avons laissés Tiphaine et Marco hier matin qui partaient pour le Pamir, tandis que nous regagnions Douchanbé, capitale du Tadjikistan. Ce matin de bonne heure, nous sommes partis pour rejoindre la frontière puis Samarkand où nous reprenons l’avion la nuit prochaine pour Paris, via saint Petersburg. Dehors, la plaine d’Ouzbékistan est écrasée de soleil. Il est 10h30. Quelques arbres à l’horizon et les lampadaires, rien de plus. Un bidon d’eau perchée à quinze mètres de haut. Taxi trouvé et négocié, nous voici parti pour dix heures de route. Alors assise à l’arrière de la voiture, je prends mon carnet et j’écris sur le vif, les cahots rythmant mon écriture. L’Ouzbékistan c’est : Des coupoles bleues, les contrôles de police, la musique ouzbek des taxis, les femmes élégantes en penjâbi et fichu sur la tête-pas toujours-, les fanions et banderoles aux couleurs du drapeau ouzbek bleu turquoise, vert et blanc, surlignés de rouge. La conduite sportive mais respectant les piétons. Des arbres nombreux dans les villes et les villages, peints en blanc sur un mètre de haut. Des melons et pastèques énormes par camions entiers. Le coca-cola frais (oui, là aussi !). Le thé –tchaï- black or green. Les fleurs d’hibiscus et autres. Les pains en couronne, dorés, décorés et blanc à l’intérieur. Les vaches en liberté, y compris sur la route, des ânes attelés et chevauchés, des chevaux montés ou dans les champs, avec les charrettes. Les lions de céramique, fiers montant la garde sur leur piédestal. Des gouttières en zinc ouvragé. Des parcs dans les villes, agrémentés de matériel de fête foraine désuets. Une voiture portant le double de son volume de coton blanc sur le toit et dans le coffre ouvert. Ses sofas pour déjeuner, faire la sieste, siroter un thé, dormir. Les murs de terre crue avec des jeux de briques à visée décorative, les portails métalliques ou en bois ouvragés. Des champs de coton empoussiéré. Le chemin de fer et trains de nuit russes. Poteaux électriques, pylônes. Les files d’attente pour le plein de gaz ou d’essence - toutes les voitures ont les deux systèmes intégrés - les passagers doivent descendre à l’entrée de la station, où cas où cela exploserait. Des parapluies utilisés comme parasols ou ombrelles pour élégantes. Quelques dromadaires. Les samsas, petits pains fourrés de viande et d’oignons et herbes aromatiques, délicieux. Des tuyaux de gaz, marrons en campagne, jaunes en ville, créant des arches au-dessus des rues. Des rosiers et roses trémières, glaïeuls rouges. Les ruches en remorques spécialement conçues pour les déplacer aisément. Les écoliers tirés à quatre épingles. Les champs de millet et de vignes avec au milieu des cahutes suspendues sur pilotis pour faire la sieste à l’ombre. Ses marchés. Ses grandes étendues qui nourrissent l’âme à défaut de nourrir les chèvres. Moment de bonheur sur cette road-movie un peu folle dans le désert montagneux qui grimpe jusqu’à plus de 4000 mètres. Ses canyons créant une rangée de visages. Oui, le meilleur des conseils à écrire à Tiphaine : « Be happy. » Des cavaliers sur des chevaux superbement harnachés sur l’ancien itinéraire de la route de la soie : plus d’une trentaine croisée sur une dizaine de kilomètres. Des femmes au beau sourire. Une gentillesse, tranquillité, peu d’agressivité. Des collines et reliefs complétement dénudés-arborés autrefois ? Des grandes statues de Timur -Tamerlan-, d’Ulug Begh, mathématicien, astronome et homme d’état. Et depuis ce matin, me revient souvent : « Les instants qui ne sont pas vécus dans l’éternité sont du temps perdu. » C’est la phrase du jour lu quelque part sans en noter l’auteur ni la source. La phrase du jour ou d’une vie et je m’y emploie : bonheur, cœur léger, verticalité. Véhicules avec écrit en français « Parfumeries : ‘dans un jardin’ » au cœur de l’Ouzbékistan, camion « Jean Simon » immatriculé ici. Deux femmes assises au sol à l’ombre d’un abribus gardant leurs dindons. Un grand portail fermé sur le vide du sable et des stèles d’un cimetière sur fond de désert avec un vol de pigeons ramiers apportant la seule touche de couleur gris-blanc-noir sur fond ocre. Une remorque de ruches posée dans l’infini vide d’une étendue désertique : où sont les fleurs à butiner ? Un gamin de sept à huit ans marche sur les plots de béton qui sépare les 2x2 voies autoroutières et son père en bicyclette chargée de jerricans de chaque côté, essaye de passer entre les plots pour traverser les deux voies encombrées car nous arrivons à proximité d’une grande ville. Un camion à grande rallonge transporte deux immenses poteaux de béton creux : « De quoi se papaouter- vachement dangereux ! » commente Jean-Noël. Silhouette de berger - ou épouvantail ? -avec une grande cape bordeaux sur la tête et son troupeau de chèvres. Secousses du taxi lancé à 100 ou 120 km/h sur ces routes improbables. Le soleil décline, mais pas ma bonne humeur. La route défile depuis six heures entrecoupées de haltes forcées par les contrôles de police faisant payer des bakchichs au chauffeur- 1000 à 5000 sums à chaque fois. Nous faisons une halte déjeuner à 16h dans une tchaïkana et repartons. Des routes que l’on répare, élargie avec beaucoup de tronçons encailloutés. Des kilomètres de rouleaux de plastique bleu déployé sur la chaussée en ciment avant de l’asphalter sans goudron car celui-ci fond au soleil, 42° à l’ombre pendant notre séjour. Quelques instants plus tard : un bruit d’impact. Un cri : le mien ! Qui a jaillit avant que je n’en aie conscience. Je me tourne vers l’origine du bruit : c’est la vitre arrière gauche qui a volé en éclat, un gros trou au centre. Côté conducteur. Je suis à l’arrière, coté passager, je ne suis pas blessée, juste quelques morceaux de verre sur mon jean ! Tandis que le siège voisin est jonché d’éclats de verre et au milieu un morceau de granit avec une extrémité comme taillée en flèche. Le chauffeur s’est arrêté et fait tomber ce qui reste de la vitre. J’avais choisi le siège arrière coté passager pour ne pas être au soleil. Hasard ? Avertissement ou baraka ? Le caillou a été projeté par une voiture passant en sens inverse dans cette zone en travaux avec la réfection de l’autre voie. Assise la place à côté, c’était être défigurée ou tuée. Déploiement de la vie et de nos existences avec tous ces « imprévus » : ce mot ne tient aucun compte que chaque instant est nouveau et forcément imprévisible. Joie de rentrer chez nous le dimanche soir, saine et sauve, même avec une oreille encore gonflée par une piqûre de guêpe, les genoux endoloris par deux chutes dans le verger du fait de trous cachés sous les herbes hautes.
Lundi après-midi « …emergency…Marco… » Message audio sur mon téléphone en provenance du Texas. C’est une autre histoire, celle de la chute de Marco. Je viens de retranscrire les pages de mon journal de voyage. Nous sommes le 20 novembre. Une semaine après les attentats de Paris. Qui ont frappé les uns et pas les autres. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Et pas moi ? Pourquoi ce caillou m’a épargné ? Pourquoi celui-ci a-t-il reçu une balle chez lui, par la fenêtre ouverte ? Et tous les autres ? Ces « pourquoi » sont sans réponses et majorent notre souffrance en tournant en boucle. Comment faire face ? Comment transcender cette tristesse ? Comment … voilà les vrais questions. En continuant d’aller de l’avant le cœur ouvert, le sourire au lèvres : ce n’est pas de l’inconscience mais plus que jamais une nécessité. Alors bon vent aux voyageurs ! Marie-Félicie Nous sommes toujours à Sagirdasht, au petit dispensaire de montagne. Ce matin les infermières entrent dans la chambre, elles veulent maquiller Tiphaine, elles disent : “Il y a une fête à l'école, tu dois absolument venir avec nous.” Tiphaine : Après être passé prendre le thé chez une de leur amie, nous nous dirigeons vers l'école d'où provient de la musique qui résonne au milieu des montagnes. Tout le village est réuni, des centaines de personnes sont assises sur des gradins, des officiels trônent sur une tribune, sur la piste des enfants dansent selon la tradition tadjik au son de la musique d'un chanteur pamiri réputé. Ma tête blonde d'européenne ne passe pas inaperçue, même si j'essaye de me fondre dans la foule ; et voilà qu'une femme parlant avec les officiels vient me saluer. Jusque là tout va bien. Mais quelques minutes plus tard, elle se met à danser sur la piste tout en s'approchant dangereusement de moi... non non non je ne vais pas danser devant tout ce monde là ??? Eh bien si, c'est ce qu'elle veut... aller je me lance... je m'applique de mon mieux à la danse tadjik, ouf ils crient et m'applaudient... mettons le rouge de mon visage sur le compte du soleil qui tape fort aujourd'hui. Et voilà qu'en quelques secondes tout le village me connait. Mais qu'y a-t-il le 9 septembre ? Je découvre en rentrant au dispensaire que c'est la fête de l'indépendance tadjik ! Heureusement que je n'ai pas refuser la danse, ça aurait été un scandale politique ! Le petit dispensaire n'est pas en bon état, mais nous sommes bien ici, nous mangeons, dormons et le bon thé bien chaud ne manque jamais. Puis il suffit de sortir dehors pour profiter des belles journées ensoleillées et de l'immense ciel bleu au milieu des montagnes environnantes. Les toilettes sont à l'extérieur et ici aussi c'est un trou puant par terre dans une maisonnette éloignée. D'un tube dans le jardin sort non-stop de l'eau fraiche descendant tout droit de la montagne qui remplit bien son devoir de me réveiller le matin quand je me lave le visage. A l'intérieure il n'y a pas l'eau courante, mais le minimum de confort ne manque pas. Dans une grande pièce cimentée, un gros bidon de 100L, sur lequel est écrit “Vegetal oil U.S.A”, est connecté, via une résistance positionnée sur son fond, à des fils électriques qui sortent du mur. Les bras musclés des infermières, chaque matin, transportent deux sceaux d'eau à la fois, qu'elles versent dans l'énorme baril. L'eau descend par gravité au travers d'un robinet positionné en bas. Une petite écuelle et tu peux te faire une belle douche chaude en espérant de ne pas s'électrocuter. Par terre et dans les chambres il y a parfois de la moquette, ou bien un revêtement plastique. A l'entrée, sur la gauche des photos des personnages qui pour diverses raisons sont entrés dans l'histoire et devenus des héros tadjiks, à droite, l'indispensable photo du président. Dans les campagnes il est en pose dans des champs de blés avec une miche de pain à la main, et ici il pose justement entouré d'infermières. Aujourd'hui Akbar m'enlève les points et avant de s'en aller il veut me montrer quelque chose. Il doit nettoyer la plaie d'un jeune garçon qu'il a opéré de l'apendicite. L'adolescent soulève son t-shirt, il a un trou énorme en bas du ventre qui est en train de se refermer... à côté de lui je n'ai vraiment que des égratinures ! Puis le docteur nous montre ce qui devrait être la salle stérile, mais qui par manque de fond ne l'est pas. Dedans il y a un poële à bois (!!??) et une table d'opération dotée de sangles pour attacher bras et jambes du patient (ou victime), est-ce une salle de torture?... Les opérations, qu'ils le veuillent ou non, ils doivent les faire et quelquefois les personnes ont des complications post-opératoires dûes aux bactéries, et parfois, il arrive qu'elles meurent, nous racontent Akbar attristé. Dehors est garée une ambulance de la croix rouge du Luxembourg, elle a été donnée l'année dernière par le “Tajik Rally”, mais Akbar nous explique qu'ils l'utilisent peu car elle n'a pas quatre roues motrices, ce qui est fondamentale pour gravir rapidement les pseudo routes de la région. Il nous montre des photos de l'hiver dernier. Les routes ne sont pas nettoyées, les gens se déplacent seulement à pied ou à cheval, même l'indestructible 4X4 russe (la Niva Lada) ne peut rien y faire et elle reste au repos sous les 4 mètres de neige. Désormais nous sommes devenus les amis de tous et bien que nous nous sommes pris d'affection pour ce lieu et ces habitants, il est arrivé le moment de prendre une décision, rapidement nous devrons partir d'ici ! L'assurance nous demande de faire une radiographie sérieuse pour mieux comprendre ce que j'ai à l'épaule. Une amie de Dushanbe nous a informés que l'hôpital de Korog est doté d'appareils modernes. Nous vidons la chambre, embarquons les vélos sur un taxi-jeep. Salutations, embrassades et c'est parti pour 300km de route de montagne caillouteuse, 7h de voiture d'affilé ! Des paysages innédits se succèdent, je suis émerveillé. Je prends des photos en mode rafale, mon coeur se serre de ne pas pouvoir pédaler dans ce coin de paradis. Il y a une grande différence entre y passer en voiture ou à vélo. Pour se comprendre, c'est comme voir un film ou bien être dans ce film, c'est une grande différence. Mais je me réconforte en pensant que ça pouvait être pire, j'aurai pu y rester avec une chute pareille ou bien devenir invalide. Je respire : ça va, je reviendrai, peut-être sur le chemin du retour ! Depuis que nous avons passé le col nous parcourons une vallée infinie dont nous verrons seulement une partie, elle est longue de plus de 600km. De l'autre côté il y a l'Afghanistan qui nous tient compagnie sur notre droite, tout près, nous avons l'impression de pouvoir le toucher avec nos mains. Sur l'autre rive les femmes portent la burka, ici en revanche elles sont libres de montrer leur visage. Une frontière fragile, des raisonnements compliqués disent qu'ici on fait les choses d'une certaine manière et quelques mètres plus loin d'une autre. Par exemple, cette vache qui broute sur un îlot au milieu de la rivière, elle est tadjik ou afghane ? Et surtout, elle, qu'est-ce qu'elle en pense ? Concept et structure mentale de division, séparation que seul l'esprit humain peut arriver à concevoir et comprendre. Vue d'ici, avec ces sublimes villages de terre, ces ânes et ces hommes en moto, le pays, connu aux yeux du monde entier pour le «terrorisme», ne fait peur à personne, au contraire il me vient même l'envie d'aller le visiter. Il n'y a rien à craindre, seules quelques explosions de temps en temps et des pierres qui arrivent sur notre route : Bam, bam, booom! Le chauffeur arrête la voiture effrayé ! Non, ce ne sont pas les talibans qui sont en train d'attaquer, ce sont les ouvriers afghans occupés à construire la nouvelle route :)
Nous arrivons tard à Korog. Nous allons directement à l'hôpital car nous savons qu'un traumatologue compétent et qui parle anglais est de garde. Il m'examine et me precrit tout de suite une radiographie. Je paye 29 somoni (l'équivalent de 4 euros), bip,bip, deux minutes plus tard j'ai entre les mains une radiographie claire et détaillée. Dr. Sheramon la regarde: “Tu es chanceux! Tu as seulement une subluxation, pas besoin d'opérer, mais tu ne dois pas bouger ton épaule pendant au moins 20 jours : tu dois la tenir fixe, immobile !” Marco 20 jours sans bouger ????? Dur ! Soyons positifs, nous voilà avec tout plein de temps pour écrire, lire... j'ouvre un livre, commence à lire et réalise ensuite le comique de la situation : “Le phare,voyage immobile” (Mr Paolo Rumiz). Tiphaine Ah tiens, je suis dans la tente, je m'apprête à me réveiller, quel bon sommeil profond... “Tiph, j'ai fait un rêve étrange, j'étais en train de tomber”... mais qui est-ce qui est en train de me réveiller?!?...Paul et Tiph sont venus à mon secours, ils m'ont tourné sur le côté et je viens juste d'ouvrir les yeux : “Salut les copains, mais que se passe-t-il?” Rapidement, je réalise qu'il ne s'agit pas d'un rêve, tout est extrèment réel : je suis à terre sur des rochers ! “J'ai activé le SOS du Spot” me dit Tiphaine. “Quoi? Mais tu es folle ? Annule-le tout de suite, maintenant je me lève, tout va bien”, mais je ne me rends absolument pas compte de la situation. Je ne voie pas la scène de l'extérieur. J'ai une grande et profonde plaie à la tête qui saigne à flot et qui nécessite plus qu'un simple pensement, je ne peux pas bouger tout mon côté gauche et la nuit tombe ! Leiset, immédiatement, est partie chercher une voiture. Tiph parle à Paul en français et lui, très calme, lui demande à chaque fois de répéter en anglais. Elle ne se rappelle plus où est chaque chose, elle est en panique totale, elle ne supporte pas la vue du sang. Je commence à trembler, mais néanmoins je me sens comme un pilote à l'intérieur d'un véhicule en panne, je suis lucide et je dirige les opérations depuis la terre : « Tiph prend la couverture de survi, elle est dans ta sacoche avant gauche ! Et aussi les mèches pour les blessures profondes que ton père nous a montré ». Les ciseaux à la main, ils me coupent quelques cheveux pour pouvoir appliquer quelques chose de momentanée afin que le sang arrête de couler. «Hé les copains, s'il vous plaît ne couper pas trop, j'ai mis beaucoup de temps pour les avoir longs comme ça », je vais bien, je n'ai pas perdu mon sens de l'humour ! Trois gros hommes sont arrivés avec leur véhicule, ils hurlent croyant mieux se faire comprendre, mais je ne suis pas sourd, seulement nous ne parlons pas la même langue. Maintenant il me reste qu'à atteindre la voiture. Ils veulent me porter sur la bâche : « Halte, halte là.. » leur dis-je, je voudrai éviter de tomber une seconde fois. J'essaye de me lever lentement, avec la main qui fonctionne encore je m'aggripe à un robuste bras tadjik, l'un d'eux me pousse dans le dos, un autre me tient sur le côté, j'arrive à m'allonger dans la jeep. « Paul, Leiset, s'il vous plaît, pourrez-vous mettre nos vélos au village précédent, nous ne savons pas pour combien de temps nous en avons, nous reviendrons les chercher dés que possible ». Les 18km de route prennent la direction de Sagirdasht, un village à 2500m d'altitude entre les montagnes, apparement là-bas il y a un petit hôpital. Nous arrivons, ils m'accompagnent dans une salle, le matériel est vraiment rudimentaire, un instant j'ai cru qu'ils allaient faire bouillir de l'eau pour stéréliser les aiguilles. Mais juste avant de poser ma tête sur le lit j'apperçois du matériel médicale encore emballé...je ferme les yeux un peu plus tranquille. Trois beaux points de souture, une bande autour de la tête pour tenir la compresse et me voilà l'air d'un blessé de guerre d'une autre époque. Maintenant il faudrait faire une radiographie pour comprendre ce que j'ai à l'épaule. La machine date d'une autre époque et à la troisième tentative l'image n'est toujours pas nette, mais les docteurs me palpent et m'annoncent que ce n'est rien de grave, peut-être une micro-fracture. Ils nous ouvrent une chambre, des planches de bois avec quatre pieds font office de lit. Mon corps est exténué, je m'écroule de fatigue. Je me réveille le matin un peu perdu, je ne peux pas croire qu'une telle chose me soit arrivée, je n'arrive pas à me faire une raison. Rien n'arrive par hasard, que signifie cette chute? C'était peut-être le moment de s'arrêter? De reporter l'attention sur moi ? Dés que possible je dois contacter mon ancienne prof de Ohashiatsu. Nous avons dévié par le Kazakhstan et sauté l'Iran pour arriver à temps sur la Pamir highway, avant l'hiver. Je l'avais en tête déjà avant de partir le Pamir, et maintenant mon esprit est bouleversé par la réalité. Mais il y a une seule chose que je puisse faire, me détendre et accepter la situation telle qu'elle est ! Akbar, le chirurgien, a 28 ans et il porte toujours une casquette bleue, même lorsqu'il opère. C'est le plus éveillé de tous et bien qu'il ne parle pas un mot d'anglais il trouve toujour un moyen de se faire comprendre. Aujourd'hui il a décidé de me faire une heure de leçon de tadjik et russe. Il pointe un objet dans la chambre et me le nome dans sa langue, puis en russe, je prends note puis je le lui traduis en anglais. Ce petit jeu est sympathique, mais à un moment donné il m'appuit fort sur l'épaule où j'ai mal. J'hurle et le regarde me demandant s'il n'est pas devenu fou. Je n'ai pas le temps de réagir qu'avec un sourire à 32 dents il me dit : “voilà, cela se dit : dard(douleur)”... il me vient à l'esprit presque instinctivement de lui retourner une belle baffe et de dire : “voilà cela s'appelle : “une baffe”, mais la scène est tellement improbable que je commence à rire moi aussi conscient que justement grâce à ces méthodes peu habituelles, je n'oublierai plus jamais ce mot : dard ! Ici les docteurs ont tous un second travail, il suffit juste d'observer leurs énormes et épaisses mains de paysans/maçons pour deviner lequel. Même Akbar un après-midi revient avec le visage plein de peinture blanche. Nous avons une chambre pour nous, mais les médecins, les infermières et des inconnus entrent sans arrêt sans jamais frapper. Nous sommes les premiers touristes qui atterissent dans ce dispensaire et nous attirons donc l'attention de tous, nous et notre matériel de voyage, ils sont très curieux. “Oh ça, qu'est que c'est ? Un téléphone ?” nous demandent-ils?, “ non c'est une batterie”, “et ça?” “Le chargeur de batterie”...”ohhh...” répondent-ils. Comme des enfants dans un grand magasin de bonbons, ils touchent, testent et interrogent les yeux ébahis. Parfois la porte est ouverte toute grande et le personnel de garde nous montre à un ami de passage comme ils feraient au zoo devant une cage : “Et voilà, ici le lion, faite une photo !”... au fond nous sommes d'étranges créatures pour eux ! Depuis qu'Akbar a commencé à m'enseigner le tadjik les différents assistants, fières, l'imitent. “Voilà, c'est un “crayon”,.. cela se dit “lit”...”. Pour freiner un peu cette grande vague d'enthousiasme qui commence à se transformer en rituel qui se répète toutes les 5 minutes, je leur demande maintenant qu'ils me le disent en italien. Et pourquoi pas introduire un peu de napolitain aussi ? Nous y sommes! Désormais ils ont retenu ! Je me trouve dans un village perdu au milieu des montagnes tadjike à 2500m d'altitude et maintenant ils entrent en annonçant d'une voie forte : “Ciao fra !' (Salut frère!)”. Je me sens comme à la maison !! :P
Marco |
AuteursMarco + Tiphaine: VideonewsletterSUIVES NOUS SUR
T-ShirtfotoCategories
Tous
Archives
Janvier 2018
|